--- Contenu de la conférence



ALGÉRIE :

LES CINQ OCCASIONS DE PAIX MANQUÉES
et

LES FONDEMENTS HISTORIQUES

DE L’AMITIÉ FRANCO-ALGÉRIENNE


Conférence du lieutenant-colonel (H) Armand Bénésis de Rotrou


Sources – Service historique de l’armée de terre. Ouvrages d’historiens : M. Faivre, J. Monneret, R. Muelle, G. Fleury, J. Grasselli, M. Dumont, C. Brosio, G. Pervillé.Témoignages écrits et verbaux : S. Boualam, M. Bigeard, A. Argoud, F. Meyer, J. Ortiz, P. Guillaume, R. Gaston, R. Madoui, R. Holeindre, É. Grégoire, R. Gaget, J. Frécon, J.P. Pont, C. Gazaniol, J. M. Méucci, M.J. Teyssandier, deux anonymes. Carnet de route et documentation personnelle (originaux) de l’auteur

– O –


INTRODUCTION

Il est unanimement reconnu qu’une armée conventionnelle,
sans le concours de la population,
n’est pas en mesure de gagner une guerre révolutionnaire subversive.

Or il est un fait incontestable que,
avant de la perdre politiquement,
la France a gagné la guerre d’Algérie,
ce qui signifie que le peuple algérien était de son côté.

Comment ce paradoxe a-t-il été possible ???

Eh bien tout simplement parce qu’une armée
d’un demi-million d’hommes,
vainqueur sur le terrain et dans la conquête des âmes,
a été in fine, en 1962 , en vertu d’« accords »
qui n’en auront que le nom,
mise à genoux, sur décision politique, par 25 000 rebelles

Des rebelles  qui, de surcroît, avaient demandé, à cinq reprises,
à déposer les armes et à conclure la paix des braves,
une paix honorable qui leur avait été proposée, en 1958,
par le général De Gaulle, alors chef du Gouvernement.

Il faut savoir que si la France a gagné la guerre d’Algérie,
c’est aussi parce que l’Algérie
n’est pas un pays arabe comme tous les autres.

Autrefois chrétien, son peuplement est multiethnique.

En 1830, quand la France intervient à Alger
contre la régence turque,
sous mandat international, je le précise,
c’est pour réduire un nid de tyrans barbaresques qui,
depuis le 15e siècle, fait régner la terreur
en Méditerranée et sur son pourtour,
en se livrant à la piraterie et au commerce d’esclaves.

Et, au cours de ces 400 ans,
les seuls chrétiens paieront un tribut d’un million de captifs.

La France découvre alors un vaste territoire
désertique et marécageux,
peuplé de tribus rivales soumises à la famine,
aux maladies endémiques et à une forte mortalité.

Après avoir investi Alger et pacifié ses alentours,
avec l’aide de tribus ralliés désirant réduire leurs rivales,
la France se livre alors, avec d’autres tribus ralliées,
à la conquête et à une politique de peuplement du pays.

Un pays auquel elle donnera des frontières, un nom,
et qu’elle transformera en un pays moderne et prospère.

Je tiens à préciser que cette évocation du passé
n’est pas un simple plaidoyer,
mais un apport à notre patrimoine historique,
lequel est un outil indispensable pour
comprendre le présent … et appréhender l’avenir.

ÉTAT DES LIEUX

La population autochtone

Au 1er novembre 1954, quant éclate la rébellion,
la population autochtone est rurale à 87 %.

Elle est composée de gens simples,
profondément croyants, militaristes et fatalistes,
plus désireux de paix, d’ordre et de justice
que d’avantages sociaux.

Ce sont des gens résolument attachés à leurs coutumes ancestrales,
à leur société patriarcale,
et qui redoutent les changements de mœurs
véhiculés par le modernisme.

Enfin des gens qui, par atavisme, respectent l’autorité,
méprisent les faibles, et qui ne sont pas prêts à retourner
à la tyrannie des tribus, à la grande misère,
à la corruption d’avant 1830.

Dans ce contexte général, il y a lieu de citer
les deux décrets Crémieux du 24 octobre 1870,
deux ordonnances qui permettaient
aux « indigènes musulmans et israélites »
de passer de l’état de sujets français…
à celui de citoyens français.

Au terme de ces décrets,
tandis que les membres de la communauté israélite
étaient déclarés citoyens français sans autre formalité,
les musulmans devaient, pour cela,
en faire la demande, renoncer à la polygamie,
au divorce (interdit en France à l’époque)
et au droit coranique qui désavantage la femme.

Ces conditions étant contraignantes pour des musulmans,
seuls 10 000 d’entre eux se firent naturaliser, entre 1870 et 1962 (sic).

Pour beaucoup, en France comme en Algérie,
cette différence de réglementation
installa une certaine discrimination raciale.

Une population autochtone résolument engagée à nos côtés

Revenons maintenant à la population autochtone,
à propos de laquelle le bachaga Boualam a écrit ceci :
« Le peuple algérien est francophile à 80 % ».

Et de cela, nous en aurons la preuve par le fait que,
face au conflit qui a éclaté,
la population autochtone se rangera résolument à nos côtés.

Comment ? Eh bien par le moyen le plus simple
et le moins risqué en ces temps de terreur,
en prenant les armes pour se défendre contre le FLN.

Et cela se traduira par un chiffre de
263 000 autochtones sous les drapeaux,
nombre limité, il faut le dire, pour des raisons budgétaires.

Et 263 000, c’est dix fois le nombre des 25 000 rebelles,
à l’apogée de leur puissance, présents en Algérie.

L’armée d’Algérie, quant à elle, au sommet de ses effectifs,
Français et autochtones confondus,
atteindra le chiffre de 561 000 hommes.

Et les 263 000 autochtones, parmi ces 561 000 hommes,
compteront pour près de 47 %,
alors que, précisons le,
les Français sont 50 millions,
et les autochtones d’Algérie 10 millions.

Ajoutons que ces 263 000 autochtones
étant tous combattants de terrain,
ils se trouvent constituer 75 % de notre corps de bataille.

Ces chiffres se retrouvent par ailleurs
dans le nombre de tués au combat,
lequel atteint un total de 19 559 :

15 009 Français, et 4 550 autochtones
(1 350 réguliers, 3 200 supplétifs).

La part des autochtones tués au combat est donc de
24 % de celle des Français,
et ce pour une population de 17 % de celle de la France,
ce qui signifie que les autochtones se sont autant battus,
sinon plus, que les Français.

Il est également reconnu que la connaissance du milieu
et le savoir-faire de ces 263 000 combattants,
en particulier des fellagas ralliés,
ont été le moteur du succès de nos troupes,
et que ce sont eux les véritables vainqueurs de cette guerre,
une guerre qui fut leur guerre.

Et voici comment le général Bigeard,
un grand soldat qui avait une longue expérience
des unités autochtones, juge la situation :

« Sur tout le territoire, durant des années,
les supplétifs, tirailleurs et harkis,
ont apporté un soutien inestimable à la France.

Leur conviction est qu’ils doivent lutter
aux côtés de la grande nation.

Elle seule peut apporter au peuple musulman
le développement qu’il mettra bien plus longtemps à atteindre seul.

Ils rêvent d’un pays sans ce pouvoir dictatorial,
que le F.L.N. instaure, dans le sang, en parti unique. »

Le mot de la fin est laissé à Rémi (prénom de ralliement) Madoui,
un universitaire autochtone qui, successivement,
sera officier dans les forces armées du FLN,
puis, une fois rallié, sous-lieutenant dans nos rangs,
et enfin membre de l’OAS (organisation armée secrète).

Voici ce qu’il a écrit :
« J’étais persuadé que si le peuple algérien
avait à faire le choix, librement,
il se prononcerait en majorité contre la sécession. »

Ce tableau optimiste sera cependant assombri,
geuerre révolutionnaire oblige,
par le fait que la population autochtone,
en dehors de ces 263 000 hommes et de leurs familles
qui bénéficient d’une protection, sera, dans son ensemble,
réduite au silence par la terreur, l’arme n° 1 des terroristes,
laquelle décime les familles et hante les esprits.

Mon expérience

En marge de ces données historiques,
l’exposé qui va suivre est tiré de l’expérience que j’ai acquise
de cette guerre et de ce pays, de 1956 à 1968 (sic),
c’est-à-dire jusque six ans après l’indépendance.

Un pays que j’ai parcouru d’est en ouest, du nord au Sahara,
et toujours immergé, je le précise, dans la population autochtone,
une population que j’ai bien connue,
ayant toujours servi dans des unités de quadrillage ou de harkis,
puis, après l’indépendance, dans de petites localités.

J’en arrive maintenant à l’énoncé des événements
qui ont marqué les grands tournants de la guerre d’Algérie.

LA 1re OCCASION DE PAIX MANQUÉE

La rébellion éclate donc le 1er novembre 1954.

La guerre d’Indochine vient de se terminer,
et 70 % de nos prisonniers sont morts
dans les camps de l’enfer vert.

La France est prise au dépourvu.

Il s’ensuit que, jusqu’en 1956,
l’Algérie connaîtra une période de flottement,
durant laquelle la terreur l’emportera sur la sécurité.

Cette époque, celle de 1954 à 1956, restera celle
où le FLN semble avoir le dessus,
et être en mesure d’atteindre ses objectifs.

Dans tout le pays, la vie est rythmée par les attentats,
les assassinats, les destructions d’infrastructures.

Puis, à partir de 1957,
sous l’action du gouvernement de la IVe République,
les pouvoirs publics et l’armée réagissent,
(souvenons-nous de la bataille d’Alger),
ce qui se traduira par sur un
ressaisissement de la population autochtone.

Une population qui est lasse de la tyrannie des rebelles,
lesquels multiplient les attentats ; égorgent ; rançonnent ;
interdisent de fumer et de boire ;
tranchent les oreilles, les lèvres, le nez
de ceux qui transgressent la consigne.

Et nous assistons alors à une levée en masse des supplétifs,
ce qui se traduira par la mise sur pied des formations suivantes :

114 GMS (groupes mobiles de sécurité), comparables à nos
compagnies de CRS, soit 12 000 hommes.

700 SAS (sections administratives spécialisées),
et 30 SAU (sections administratives urbaines),
unités chargées de l’administration et de la protection
des populations autochtones, soit 33 000 hommes.

60 000 harkis, chiffre limité pour des raisons budgétaires.

2 000 villages en autodéfense, soit 55 000 hommes armés.

Forte de ces nouvelles dispositions,
l’armée remporte alors ses premiers grands succès.

Succès remportés, il faut le préciser, grâce à l’aide irremplaçable
de ces 263 000 autochtones et, surtout, grâce aux fellagas ralliés,
car ce sont eux qui communiquent à nos troupes leur savoir-faire,
qui leur apprennent, comme des chiens de chasse,
à débusquer et à mettre le rebelle furtif hors de combat.

À ce ressaisissent de 1957 succède, en 1958,
le grand mouvement patriotique du 13 mai, le fameux Treize Mai.

Et voici comment une historienne,
Marie Dumont, décrit cet événement :

« Un élan patriotique et de fraternisation
général en faveur de la paix
et contre la guerre, la fin de l’attentisme,
la transgression des consignes du FLN »

Le sous-lieutenant membre de l’OAS Rémy Madoui,
à l’époque officier dans les forces armées du FLN, écrira ceci :

« L’espoir est si grand, que la wilaya IV
[l’une des six provinces FLN, la sienne],
pavoise aux couleurs de la France,
que les rebelles cessent les attentats,
et déposent leurs armes devant les mairies. »

Imaginons donc des fellagas qui,
eux aussi lassés de cette guerre qu’ils jugent désormais inutile,
brandissent des drapeaux français dans leurs repaires.

Tous les espoirs se portent alors sur le général De Gaulle qui,
fort à propos, lance la paix des braves.

Pour les autochtones, la France est enfin gouvernée par un militaire,
un membre de l’armée qui, à leurs yeux, incarne le véritable pouvoir.

Et voici deux extraits de professions de foi publiques,
faites par des ralliés du célèbre commando « Georges »,
unité dont j’étais l’officier adjoint,
et que je devrai quitter précipitamment, en septembre 1961,
pour éviter une arrestation due à mes liens avec l’OAS :

● Ex-lieutenant des forces armées du FLN, Ali Bouziane :

« La population, qui était notre raison de combattre
et notre soutien, nous abandonne.

J’ai confiance en De Gaulle, et mes frères dans le maquis aussi.

Nous avons été trompés, et l’Algérie heureuse,
nous la ferons avec lui. »

● Ex-sergent rebelle Smaïn :

« Les rebelles, même les chefs, ont confiance en De Gaulle. »

À la suite du Treize Mai, les rebelles ont donc perdu la foi,
et ils demandent à déposer les armes.

La paix est à portée de la main, et le Bachaga Boualam
propose sa solution au général De Gaulle ; voici ce qu’il lui dit :

« Donnez-moi 500 000 harkis, et vous pouvez renvoyer
tous les appelés chez eux, et je vous garde l’Algérie à la France. »

Profitant de la liesse générale et de la dynamique de la paix,
c’était là le moment de faire appliquer
la loi-cadre du ministre Gaston Deferre,
une loi de 1956 qui devait introduire, je cite :

« Des réformes dans le statut des colonies et des possessions
d’Afrique du Nord, et transformer l’Algérie
en une province fédérative à collège unique. »

Toutefois, contre toute attente, le général De Gaulle
se prononce pour l’intégration.

Une solution à laquelle, même les autochtones,
réalistes et attachés à leurs coutumes, ne croient pas,
pas plus que les militaires et les Français d’Algérie,
pour qui cette formule relève de l’utopie.

On peut se demander comment un homme de cette intelligence,
de surcroît réputé visionnaire,
l’homme du discours de Brazzaville de janvier 1944,
pouvait se prononcer pour une telle solution.

Quatre ans avant 1962, la paix était donc possible,
mais elle sera manquée, et le pays retombera dans l’embarras.

En septembre 1958, la liesse générale n’est pas encore retombée,
et le référendum sur les institutions de la Ve République est un succès :

Malgré les consignes de boycott du FLN,
les autochtones participent, en masse,
y compris les femmes (normalement voilées et mises à l’écart),
et les résultats se chiffrent par 95 % de « oui ».

Toutefois, peu à peu, malgré la confiance retrouvée et
l’engagement des autochtones, la routine s’installe,
l’espoir en une Algérie nouvelle se distend,
et un certain malaise s’empare du pays.

Et pour cause :

Avec l’arrivée du général De Gaulle,
les populations s’attendaient à des mesures draconiennes
dans les domaines politique, militaire, judiciaire et, surtout,
elles s’attendaient à des mesures sans concessions à l’égard du FLN.

Or rien ne change, ce qui fera dire à mes harkis
et à mes chefs de village :

« Le général De Gaulle est trop gentil avec les fellouzes (fellagas). »

LA 2e OCCASION DE PAIX MANQUÉE

Puis, dans les derniers mois de 1958, c’est l’affaire Si Khaled,
et la paix manquée pour la 2e fois.

En effet, l’organe de commandement du FLN, qui s’intitule
GPRA ( Gouvernement provisoire de la République algérienne),
basé à Tunis, a alors perdu l’espoir de gagner la guerre,
et il se décide pour la paix des braves.

Un commandant des forces armées du FLN, Si Khaled,
un ancien de Sciences-PO,
est chargé de conclure un cessez-le-feu.

Et c’est le bachaga Boualam,
contacté le 1er, qui assure le lien avec les autorités françaises.

Si Khaled propose, dans l’immédiat,
la reddition de 5 000 hommes, puis de 20 000 dans un 2e temps,
soit de la totalité des troupes régulières du FLN.

Pour des raisons non éclaircies à ce jour,
cette main tendue sera refusée,
et cela aura pour conséquence la radicalisation du GPRA.

Un GPRA qui, persuadé que la France n’est pas décidée
à réformer l’Algérie, tombera sous la coupe de son aile
jusqu’au-boutiste, nassérienne et islamiste.

Puis, en janvier 1959, le général De Gaulle
est élu président de la République.

À cette occasion, il gracie 150 terroristes condamnés à mort
et en libère 7 000 autres.

Ces mesures sont mal perçues par les autochtones
qui les prennent pour de la faiblesse,
ce qui fait dire mon chef de harka :

« Le général De Gaulle n’a rien compris aux fellouzes »

À la suite de cela, en Août 1959,
le général De Gaulle effectue un nouveau voyage en Algérie,
voyage consacré aux unités sur le terrain ;
ce sera la tournée des popotes.

Enfermé dans un mutisme, ayant l’air de s’ennuyer,
il déçoit une armée qui se bat avec foi,
qui remporte des succès déterminants,
et qui attendait des félicitations et des encouragements.

À Saïda, il déconcerte les 250 anciens fellouzes
du commando « Georges »,
lesquels tentent de lui expliquer leur méthode de pacification,
et avec lesquels, sous la tente, il partage le thé à la menthe de l’amitié.

Puis arrive le mois de septembre 1959,
où le général De Gaulle prononce son célèbre discours
sur l’autodétermination, une proclamation
qui prend tout le monde à contre-pied,
et qui trouble les esprits.

Et pour cause : si cette solution est concevable
pour des régimes démocratiques, elle est totalement inapplicable
dans un pays en proie au terrorisme.

Pour beaucoup de militaires, qui veulent rester optimistes,
ce discours est un rideau de fumée destiné à l’ONU
et aux opinions publiques.

Quant aux harkis et aux chefs de village, toujours confiants en
la grandeur et en l’infaillibilité de la France, voici ce qu’ils pensent :

« Le général De Gaulle est plein de bonne volonté,
mais il nous complique la tâche, et il facilite celle des fellouzes. »

Et voici ce que dit le GPRA … qui ne se trompe pas :

« Ce discours est notre 1re victoire politique. »

Dans ce climat de suspicion, quatre mois plus tard,
en janvier 1960, les Français d’Algérie
montent sur les barricades
pour protester contre l’élimination du général Massu,
lequel avait osé critiquer la politique algérienne
du général De Gaulle.

Le colonel Bigeard sera sanctionné à son tour
et relevé de son commandement,
pour avoir voulu arranger les choses,
en déclarant qu’il fallait comprendre les sentiments des manifestants.

Ces mesures touchaient deux chefs de guerre victorieux,
auxquels la population autochtone vouait un véritable culte,
et elles ne firent que renforcer le climat de suspicion.

Au commando « Georges », à la peine de voir partir Bigeard,
un chef auquel ils s’étaient attachés,
s’ajoute, pour ces anciens fellouzes,
la peur de l’avenir, Bigeard étant
l’homme auquel ils s’étaient ralliés…
et qui représentait leur suprême garantie.

Cette crainte et cette peine se manifesteront
par de véritables crises de larmes…
puis, en 1962, par leur massacre.

LA 3e OCCASION DE PAIX MANQUÉE

Quelques mois plus tard, en juin 1960, intervient l’affaire Si Salah,
et ce sera la paix manquée pour la 3e fois.

Sur fond d’antagonisme ancestral entre les Berbères et les Arabes,
et de scission entre le GPRA de Tunis et le FLN de l’intérieur,
le colonel des forces armées rebelles Si Salah,
chef de l’une des six wilayas,
décide, avec d’autres chefs de wilaya,
de faire un putsch contre le GPRA.

Fervent partisan de la paix des braves et,
sur des bases rénovées,
du maintien de l’Algérie dans le cadre français,
Si Salah établit des contacts avec le général Salan,
commandant en chef en Algérie,
auquel il propose la reddition, dans un 1er temps,
des ¾ des combattants du FLN.

Reçu à l’Élysée avec ses deux adjoints,
Si Salah se heurtera cependant à une fin de non-recevoir,
le général De Gaulle ayant accepté l’offre
par pure tactique politique destinée à faire pression sur le GPRA.

Un GPRA auquel il fera, deux jours plus tard,
une offre publique de négociations.

Chez le FLN de l’intérieur,
qui comprend qu’il est lâché par la France,
c’est le moment des trahisons.

L’un des adjoints de Si Salah se retourne contre lui,
fait allégeance au GPRA,
lequel ordonne une épuration qui se traduira
par le massacre des fellagas fidèles à Si Salah.

Le sous-lieutenant membre de l’OAS Rémy Madoui,
à l’époque officier dans les forces armées du FLN,
faillit y laisser la vie, et il décrit la scène dans le livre qu’il a publié.

Puis, en décembre 1960, le général De Gaulle effectue
un dernier voyage en Algérie,
et cette visite est marquée par une série d’émeutes sanglantes
qui troubleront durablement l’ordre et les esprits en Algérie.

Ignorant les populations européenne et juive qui le conspuent,
le Président réserve ses faveurs à des foules autochtones
manipulées par le FLN, lequel,
lui faisant réserver un accueil chaleureux,
organise par ailleurs des manifestations pro-sécession et racistes,
lesquelles feront de nombreuses victimes parmi les populations
de toutes confessions, ainsi que dans l’armée.

Faits aggravants, les forces de l’ordre, lassées de cette guerre
qui n’en finit pas, hormis les parachutistes et les légionnaires
qui seront volontairement tenus à l’écart du service d’ordre,
se rangeront du côté des émeutiers, laissant parfois
lyncher des Européens et des juifs sans réagir.

LA 4e OCCASION DE PAIX MANQUÉE

Puis, le 21 avril 1961, survient un événement
qui prendra le nom de putsch des généraux,
et qui aurait pu, lui aussi, sauver l’Algérie une 4e fois.

Il s’agissait d’un pronunciamiento destiné à conclure
la paix des braves avec le FLN de l’intérieur,
et à offrir une Algérie pacifiée, sur un plateau d’argent,
au général De Gaulle

Réussi sur les plans de la préparation et du déclenchement,
ce mouvement fut un échec sur celui de l’exécution.

Et, comme le déploreront mes harkis, je cite :

« Il aurait fallu déclarer la mobilisation générale en Algérie,
faire une levée en masse de harkis,
renvoyer tous les appelés chez eux,
et on avait le monde entier avec nous. »

Puis, peu après cet événement, en mai 1961,
le Gouvernement prend une mesure qui bouleversera durablement
la situation au profit des rebelles : la trêve unilatérale.

Cet arrêt des activités opérationnelles de deux mois ½,
qui sera accompagnée d’une nouvelle libération de 6 000 fellagas,
va permettre à un FLN exsangue
de se renforcer et de se reconstituer.

Enfonçant le clou, le FLN procède alors à une
2e démonstration de force dans les centres urbains,
en organisant de nouvelles émeutes sanglantes,
sur le type de celles de décembre 1960,
lors de la dernière visite du général De Gaulle en Algérie.

Face à cette situation, les autochtones fidèles à la France
ne comprennent plus, et ils sont pris de panique.

On assiste alors à des désertions en masse,
de supplétifs comme de réguliers,
avec armes et bagages.

Puis, en juillet 1961, en pleine trêve unilatérale,
le général De Gaulle déclare que la guerre est pour lui terminée,
ce qui est cependant formellement démenti par les faits,
le FLN s’étant considérablement renforcé…
et multipliant les actes de terrorisme et de violence.

Sur ces entrefaites, en août 1961, le commandement annonce
une réduction massive des supplétifs,
accompagnée du désarmement des villages en autodéfense.

Cette décision aura pour conséquence
de livrer des populations amies,
et des soldats qui se battent encore avec nous,
à la vindicte de l’ennemi.

Au commando « Georges » de Saïda,
les 250 anciens fellouzes ont de quoi s’inquiéter,
et l’un d’eux, le 6 août 1961, déclare ceci à monsieur Messmer,
ministre de la Défense, en visite en Algérie :

« Avec vous tant que vous combattez le FLN,
peut-être contre vous si vous nous trahissez. »

Puis, en septembre 1961, nous apprenons que le Gouvernement
a cédé au chantage sur la signature des « Accords d’Évian »,
et qu’il abandonne le Sahara au GPRA.

Ce même mois tombe la nouvelle de la fermeture
des centres de formation professionnelle de la jeunesse algérienne,
des organismes gérés par un général autochtone,
ce qui aura pour conséquence
de livrer une partie de la jeunesse algérienne
à l’appétit des recruteurs du FLN.

Au cours des derniers mois de 1961,
la déflation des effectifs militaires s’accélère,
ce qui se soldera, de la fin de 1960 au 1er juillet 1962 ,
(soit en un an ½), par la suppression de 226 000 postes.

Les conséquences en seront
le retrait de nos troupes du bled et des villes,
le désarmement complet des villages en autodéfense et des supplétifs,
et la mainmise du FLN sur le pays.

Et nous assistons alors à une multiplication
des assassinats et des massacres,
et à une mise en œuvre d’une « épuration » du pays en profondeur.

Ignorant qu’aux termes des « accords d’Évian »,
une clause secrète interdit aux supplétifs de quitter l’Algérie,
l’armée se heurte, en contradiction avec les textes en vigueur,
à l’impossibilité d’engager ses supplétifs.

Afin de défendre, encadrer, réarmer nos vieux serviteurs
désormais voués au massacre,
le général Salan, le chef de l’OAS militaire,
décide d’implanter, sur tout le territoire algérien,
des groupes de volontaires chargés de ce travail, et
auxquels l’usage donnera le nom de « maquis OAS ».

Commandant de compagnie, je serai alors contacté
par le chef de l’OAS du Constantinois, le colonel Chateau-Jobert,
le célèbre Conan de la Résistance.

Ce compagnon de la Libération demande à nos troupes,
afin de garantir un support logistique indispensable à ces groupes,
de leur fournir nourriture et munitions.

Je réponds « oui » sans ambages à cette demande,
et ce en plein accord avec mes cadres et mes harkis.

Mais ce sera toutefois sans résultats, ces groupes,
tous parfaitement localisés,
allant être rapidement détruits par les forces de l’ordre,
auxquelles ils n’opposeront aucune résistance,
bien qu’ils seront, pour certains, pris sous leur feu sans sommations.

Puis, à partir de la fin de 1961,
il s’instaure en Algérie un double langage :

D’un côté, les forces de l’ordre reçoivent la mission
de poursuivre et de détruire les forces du FLN,

Et de l’autre, une partie d’entre elles reçoit la mission,
dans le cadre de la lutte contre l’OAS, contre ses maquis,
et contre les populations qui les soutiennent,
de s’allier au FLN et de le soutenir matériellement.

Dans ce contexte, des membres du FLN
du Maroc, de Tunisie et de France,
munis de vrais-faux papiers établis par les autorités françaises,
sont introduits en Algérie avec leurs armes.

Ces dispositions contribueront à ajouter du chaos au chaos,
ces nouveaux venus allant être reçus
en ennemis par le FLN de l’intérieur,
lequel faillit les passer par les armes,
et ils ne devront leur survie qu’au fait qu’ils sombreront
à leur tour dans le terrorisme, se livrant aux pillages,
aux attentats, aux enlèvements et aux assassinats.

Entre-temps, en dépit des ordres écrits que j’ai reçus,
je n’ai pas désarmé mes harkis qui étaient voués au massacre,
et qui, non sans difficultés, pourront être rapatriés
clandestinement en France, avec leurs familles.

Enfin, en mars 1962 à Évian, au titre d’« accords »
qui n’en auront que le nom,
la France s’engage à livrer l’Algérie et le Sahara au GPRA,
décision qui sera accompagnée
d’une nouvelle libération de 8 000 fellagas.

Ces « accords » reposaient sur deux piliers :

1er pilier : du cessez-le-feu à l’indépendance,
la gouvernance du pays et la conduite du maintien de l’ordre
par un Exécutif provisoire, mis en place à Rocher-Noir, près d’Alger.

2e pilier : la transmission du pouvoir au GPRA. le 2 juillet 1962,
date arrêtée pour le jour de l’indépendance.

Pour ce qui est de l’Exécutif provisoire, cet organisme devait disposer,
dans l’exercice de ses attributions, de trois organes principaux :

● De la police algérienne.

● D’une Force locale de 40 000 hommes à base de cadres français
et d’appelées autochtones sous les drapeaux.

● Et enfin d’un corps de police de plusieurs milliers d’ATO
(auxiliaires temporaires occasionnels).

Or, ces dispositions déboucheront sur un fiasco.

Pourquoi ? Eh bien parce que la police algérienne
sera réduite à néant, ses membres, aux ¾ français d’Algérie,
allant être assassinés, arrêtés ou en fuite.

Ensuite par ce que la Force locale, quant à elle,
sera dissoute à peine après avoir été mise sur pied,
les appelés autochtones, sous l’action de réseaux FLN,
allant déserter par compagnies entières,
avec armement et matériel complets.

Et enfin parce que le corps des ATO sera lui aussi dissous
à peine après avoir été mis sur pied, ses membres,
tous choisis parmi les réseaux FLN et les fellagas libérés,
allant sombrer dans le crime organisé et le pillage.

Quant au GPRA, imposé de facto par la France,
il n’exercera aucun pouvoir, l’Algérie allant être livrée à l’anarchie,
une Algérie qui sera dominée par le pouvoir des forces armées du FLN de l’intérieur,
ennemi du GPRA, et par la tyrannie des bandes organisées.

Le 19 mars 1962, en vertu desdits « accords d’Évian »,
la France décrète un « cessez-le-feu » en Algérie.

Un « cessez-le-feu » qui n’en aura lui aussi que le nom,
et qui rend les harkis et les cadres de l’armée,
surtout autochtones, perplexes et soucieux.

Perplexes, ce « cessez-le-feu » étant décrété
alors que l’ennemi est battu et divisé,
et dont la partie algérienne était prête à négocier sans conditions.

Inquiets, car nous savons que ce « cessez-le-feu »
ne sera pas respecté par la fraction radicale du FLN,
laquelle va gagner en influence
et poursuivre ses activités terroristes.

Nous, militaires, nous pensons qu’au vu des exactions
qui vont se multiplier, le Gouvernement reviendra sur sa décision,
ce en quoi nous gardons foi en l’avenir.

Tel n’est pourtant pas l’avis du sous-lieutenant
membre de l’OAS Madoui, ex-chef rebelle, qui déclare ceci :

« En 1962, il ne faisait aucun doute que l’Algérie
allait être livrée à la fraction extrémiste du FLN.

Je rejoignis l’OAS en mars de cette année-là.

L’OAS était encore sous le contrôle d’officiers français
dont je partageais en grande partie les objectifs,
quant à l’avenir de l’Algérie.

Après le cessez-le-feu, l’Algérie devint un enfer.

Tout était fini.

L’Algérie allait être livrée, pieds et poings liés,
aux jusqu’au-boutistes du FLN.

J’étais dans une grande détresse, une sorte de tempête mentale.

L’Algérie entre les mains des extrémistes,
cela signifiait des centaines de milliers d’exécutions,
des centaines de milliers de départs. »

Dans ce contexte, sur les instances du général commandant en chef,
par une circulaire adressée à tous les chefs de corps,
le Gouvernement rassure ses troupes sur le sort des autochtones
ayant servi à nos côtés.

Cette circulaire précise que l’armée restera en Algérie
trois ans après l’indépendance,
et que les supplétifs, à côté de nombreux avantages,
bénéficieront du choix entre la nationalité française et algérienne,
assortie d’un engagement dans l’armée française, s’ils le désirent.

La réalité sera cependant tout autre,
et voici comment le général Bigeard la décrit :

« Les massacres de harkis et de leurs familles ont été tels,
qu’il n’a pas été possible de donner des chiffres précis
sur l’ampleur du désastre.

On ne peut qu’évaluer le nombre de victimes.

Entre 100 000 et 150 000, déclarent les historiens.

Quelle honte pour nous d’avoir abandonné ces hommes
dévoués à notre cause.

Le drame était bien sûr prévisible.

Certains d’entre eux s’accrochaient aux camions
qui ramenaient nos troupes vers les ports et les aérodromes.

Les soldats français avaient ordre
de n’en accepter aucun à bord des véhicules.

Certains militaires leur tapaient sur les mains à coup de crosse,
pour qu’ils lâchent leur dernier espoir de vie.

Ils savaient qu’ils seraient massacrés. Nous le savions aussi.

Ils regardaient partir nos hommes,
avec le sentiment d’être les derniers représentants de la France.

Quelques-uns saluaient dignement leurs camarades français,
avec lesquels ils combattaient encore quelques jours auparavant. »

À ces massacres d’autochtones francophiles s’ajoutera,
comme nous le savons, la vague d’enlèvements et d’assassinats,
laquelle touchera toutes les communautés sans distinction,
y compris les militaires français et les diplomates étrangers.

À ce titre, entre le 19 mars (date du « cessez-le-feu »)
et le 31 décembre 1962, soit pendant dix mois,
l’Algérie comptera plus de morts
que pendant les huit ans de guerre.

L’armée française quant à elle,
au cours de ces dix mois, comptera
plusieurs centaines de tués ou de disparus.

Tous ces maux s’accompagneront,
comme nous le savons aussi,
d’un exode massif de plus d’un million de personnes
fuyant l’Algérie dans la panique et l’épouvante,
en laissant tout derrière eux.

Confrontée à cet engrenage de la violence,
la France, dans le souci de respecter les « accords »,
qui ont pris une dimension internationale,
fermera les yeux sur tout ce chaos.

Ainsi, l’application par elle du « cessez-le-feu » sans réserve,
la mènera à une situation hors du commun
pour un état démocratique :

Le FLN en effet, dorénavant parti légal,
deviendra officiellement l’allié des forces de l’ordre,
lesquelles devront livrer bataille, aux côtés de forces terroristes,
à des populations qu’elles étaient venues défendre.

Voici, en relation avec ce nouveau contexte,
les instructions que le général De Gaulle, en personne,
dicte à son gouvernement en conseil des ministres :

« Il faut être maître de la situation, appliquer les accords…
réserver le moins possible…

Il ne s’agit pas des Français, mais de la France…

Sur le plan de la Justice,
il n’y a aucune sanction des crimes depuis avril [1962]. »

Pour les troupes en Algérie,
ces instructions se traduisent par les ordres suivants :

« Il ne doit pas y avoir d’incident avec le FLN.

Il ne faut agir pour la protection des Européens,
qu’à la condition expresse que ceci se passe
sans heurts et en douceur.

Le respect du cessez-le-feu doit primer,
et a priorité sur la protection des nationaux. »

Soit sans ressentiments, soit à contrecœur,
soit par la force des choses,
ces ordres seront appliqués par les forces de l’ordre,
à l’exception d’un certain pourcentage de cadres qui,
pris sur le fait, seront sévèrement sanctionnés,
les sanctions allant des arrêts de forteresse
à la mise en retraite d’office,
accompagnées de la relève et de la dissolution de leurs unités.

L’historien Jean Monneret analyse la situation en ces termes :

« Dès lors qu’une des parties était, non pas un état démocratique,
mais un mouvement révolutionnaire,
c’était là parier sur une bien aléatoire métamorphose.

En fait, dans les circonstances du moment,
les autorités françaises se sont trouvées
prises dans une contradiction.

Elles ne pouvaient pas proclamer la valeur des Accords d’Évian,
les faire approuver par le peuple français,
en faire le pivot de leur politique algérienne,
et prendre simultanément des mesures de défiance envers le FLN.

Agir d’une manière qui eût contredit les discours,
était politiquement intenable. »

Cet enchaînement de malheurs
s’accompagnera d’une guerre franco-française,
guerre à laquelle notre gouvernement se résignera,
son alliance avec le FLN le mettant
devant l’obligation d’éradiquer l’OAS,
ainsi que de neutraliser les populations qui la soutiennent.

Cette guerre civile sera marquée par une lutte fratricide,
entre d’une part les forces de l’ordre,
avec l’ensemble de leurs moyens terrestres, aériens et maritimes,
et, d’autre part, les populations européenne et juive,
auxquelles seront mêlés les autochtones francophiles,
ainsi que la frange de l’armée qui n’acceptera pas
de renoncer à ses engagements.

Cette guerre civile se soldera par une bataille des villes
et des maquis Algérie française,
bataille au cours de laquelle les forces de l’ordre
procéderont à des tirs, sans sommations,
sur les immeubles, dans les rues et contre les maquis.

Cette lutte sera poussée jusqu’aux extrêmes,
avec l’apparition de la torture intégrale,
pratique introduite en Algérie
par les barbouses des polices parallèles,
torture allant jusqu’à la mort et la disparition des prisonniers.

Les phases majeures de cette bataille seront les suivantes :

● Le blocus du quartier de Bab el-Oued,
marqué par des représailles sur la population.

● Le massacre de la rue d’Isly, le 26 mars 1962,
drame au cours duquel des tirailleurs autochtones,
incompétents en matière de maintien de l’ordre
en milieu urbain et européen,
travaillés par la propagande du FLN,
ayant reçu l’ordre de repousser les manifestants par le feu,
surpris par des tirs de deux mystérieux fusils-mitrailleurs,
tireront, à bout portant, sur une population pacifique
arborant drapeaux français et décorations.

● Par milliers, des arrestations, des internements,
des expulsions de civils français et de militaires.

● Le 5 juillet 1962 à Oran, une journée de massacres
visant non seulement les Européens et les juifs,
mais également les autochtones francophiles.

Cette situation conduira l’Algérie à un pays exsangue,
soumis à la loi du plus fort, en l’occurrence
à celle des forces armées du FLN et des bandes de rue,
seuls organismes à encore disposer de structures organisées.

Me trouvant à la tête d’une compagnie isolée
servant de recueil aux éléments jugés (comme moi) séditieux,
je serai tenu ignorant de tous ces événements,
dont je ne prendrai connaissance que bien après l’indépendance.

LA 5e OCCASION DE PAIX MANQUÉE

Et pourtant ! En dépit de toutes ces vicissitudes,
à quinze jours de la sécession, pour la 5e fois,
la paix est encore possible.

Comment ?

Eh bien par l’accord OAS-FLN de l’intérieur du 17 juin 1962,
accord initié de longue date par le général Salan
et Jean-Jacques Suzini, chef de l’OAS civile algérienne,
accord par lequel le FLN de l’intérieur entérinait
deux clauses majeures. Je cite :

● Le maintien en Algérie, avec leurs pleins droits et biens,
des Français, des juifs et des autochtones francophiles
[dont, bien entendu, les supplétifs]. »

● La création d’une armée algérienne,
à base de supplétifs et de troupes du FLN.

Mais pour que cet accord puisse être appliqué,
il fallait écarter le GPRA de la scène,
tout au moins temporairement,
et ce, en maintenant le verrouillage des frontières,
à l’aide des barrages militaires marocain et tunisien.

Mais la réponse de Paris étant « non »,
le pouvoir sera remis in fine à un GPRA divisé,
en l’occurrence à sa fraction la plus radicale,
à savoir à celle de Ben Bella qui, fort de son armée des frontières,
effectuera un coup d’État contre le pouvoir central de Tunis.

Ce coup d’État sera suivi par une prise de pouvoir
de Ben Bella en Algérie,
laquelle interviendra au cours de l’été 1962,
à l’issue d’une guerre civile algéro-algérienne,
au cours de laquelle l’armée des frontières, en une semaine,
massacrera plus de 3 000 fellagas de l’intérieur.

PÉRIODE POST-INDÉPENDANCE

Après le 2 juillet 1962, date de l’indépendance,
je continuerai à servir sur ordre en Algérie,
pays que l’armée ne quittera définitivement qu’en 1971,
après avoir évacué les installations qu’elle y possédait,
parmi lesquelles les centres d’essais nucléaire et aérospatial du Sahara.

Les postes que j’occuperai, dans l’Algérois,
au Sahara et à Mers el-Kébir,
où le prestige de notre uniforme sera toujours vivant,
me permettront de constater que le peuple algérien nous regrettait.

Je pourrais citer de nombreux cas de témoignage de sympathie,
comme ces militaires et ces policiers qui nous saluaient
ou nous présentaient les armes,
ces gens, dans les queues, qui nous cédaient la 1re place.

Dans l’oasis que ma compagnie de Légion occupait,
nous vivions en contacts étroits avec la population,
à laquelle nous fournissions la couverture médicale, l’eau, l’électricité
et qui, en apprenant notre départ, après avoir vainement tenté,
auprès des autorités algériennes, de nous maintenir en place,
avait imaginé de dresser des barrages humains
pour nous empêcher de partir.

Cette expérience m’a par ailleurs permis d’écrire un livre Intitulé
Commando « Georges » et l’Algérie d’après,
un ouvrage qui a obtenu les prix « Armée et défense » 2009
et « Histoire militaire » 2010.

Si j’en crois les critiques,
cet ouvrage constitue un outil de lutte contre
l’obscurantisme et la désinformation,
car voici deux de ces critiques obtenues :

« Un témoignage authentique et sincère,
absolument incontournable,
pour qui s’intéresse à l’histoire véridique de cette période.»

Signé : général Gilles de Cleene, La Saint-Cyrienne.

● « Remet en cause beaucoup d’idées reçues.

Signé : professeur de faculté Stuart Parkes, Grande-Bretagne.

CONCLUSION

N’ayant pas, comme nous aurions dû et pu le faire,
quitté l’Algérie, au minimum, la tête haute,
en léguant un pays ami et prospère à ses habitants,
nos relations avec notre ancienne possession sont,
pour le moment et de ce fait, politiquement exécrables.

Aussi nous incombe-t-il de rester vigilants,
et d’attendre le moment
où nous pourrons faire officiellement
la paix avec l’Algérie.

Mais non pas avec un régime totalitaire et corrompu
qui honnit la France,
mais avec son peuple.