--- Courrier des lecteurs



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Commentaire publié dans le Bulletin n° 651 (décembre 2010) de la Réunion des officiers de réserve du service d’état-major (ORSEM)

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Lauréat des prix « Armée et Défense » en 2009 et « Histoire militaire » en 2010, le livre d’Armand Bénésis de Rotrou offre un éclairage particulièrement intéressant sur des événements pourtant déjà bien connus.

L’ouvrage relate le regard d’un jeune officier de réserve en situation d’activité affecté dans un commando de chasse formé par des rebelles ralliés, sur une période décisive du conflit algérien.

Les tourments, les contradictions, les frustrations sont visibles. L’auteur ne cache rien de la complexité de ses sentiments quant à l’évolution de la situation.

Le plus poignant est bien le sort de ceux qui, un temps au service de l’insurrection, servirent ensuite fidèlement notre pays dans l’espoir, l’assurance affirmée par les chefs, que le drapeau tricolore ne cesserait pas de flotter sur cette terre d’Algérie.

Si la haine et la rancœur sont absentes des pages, l’amertume de ce jeune chef de guerre n’est pas dissimulée.

Son passage dans l’OAS montre cependant une certaine naïveté. En effet, l’auteur déclare rejoindre cette organisation clandestine sur ordre de son chef, le capitaine Grillot, qui souhaitait visiblement avoir « un pied dans l’organisation, tout laissant à penser qu’elle sera un jour une force politico-militaire incontournable » (page 178).

Plus loin, Armand Bénésis de Rotrou déclare : « En disant oui au capitaine Grillot, je sais que j’enfreins les lois de la République, mais mes camarades, les commandos et moi-même étant persuadés que le général De Gaulle joue avec le feu et qu’il aura un jour besoin de l’OAS pour faire marche arrière, je suis conforté dans l’idée que mon attitude à l’égard du pouvoir n’est pas un acte de rébellion caractérisé, mais au contraire l’expression d’une volonté de l’aider dans sa démarche vers une solution politique de la crise ; n’ayant pas le sentiment de trahir mon pays, je suis en paix avec ma conscience » (page 179).

Quand le lecteur sait que son intégration au sein de l’OAS « est ordonnée » après le putsch manqué d’avril 1961, il peut nourrir un peu d’inquiétude sur la pertinence de cette démarche.

Mais cette chimère (De Gaulle sollicitant l’OAS pour sortir de la crise algérienne !...) si improbable soit-elle aujourd’hui fut peut-être une idée fugace chez certains officiers désorientés par des événements qui les dépassent.

Les lecteurs trouveront aussi dans le livre des passages passionnants sur la conduite des opérations de contre-guérilla. Des pages particulièrement instructives permettant de bien saisir les caractéristiques et les particularités de cette forme nouvelle de combat. L’auteur présente le détail des actions menées, sans omettre des aspects rarement évoqués (tenue, nourriture, équipement, utilisation des appuis aériens, etc.) qui donnent encore plus de reliefs au récit.

Enfin, Armand Bénésis de Rotrou propose des annexes très intéressantes avec, en particulier, un lexique bien fourni très utile.

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        Lettre de Monsieur Marcel Wormser
      Directeur de la banque Wormser  Frère
             Frère d’André Wormser    

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                                                                             Le 30 décembre 2010

Cher Monsieur,

Je viens de terminer enfin la lecture de votre livre. Je n 'avais pas pu m'y mettre avant ce mois-ci.

Le moment est donc venu de vous dire tout le bien que j'en pense et surtout de vous remercier de me l'avoir offert avec une si affectueuse dédicace.

Permettez-moi aussi de vous dire mon admiration pour la belle carrière d'officier qui fut la vôtre. Votre courage et votre patriotisme sont à mes yeux véritablement exemplaires, rehaussés qu'ils sont par une modestie qui fait de vous un modèle à offrir aux jeunes officiers, notamment à ceux de la promotion qui porte le nom de Youssef.

En vous lisant, le souvenir d'André était plus vivant que jamais. Venez-vous à Paris de temps à autre ? Si tel est le cas j'aurai grand plaisir à vous avoir à déjeuner ou à dîner en tête à tête ou en ménage, nous parlerons de mon frère.

C'est dans cette attente que je vous adresse tous mes meilleurs vœux pour vous et les vôtres à l'occasion de l'année nouvelle.

Veuillez agréer, je vous en prie, l'assurance de mes chaleureux sentiments.

                                                                                          Marcel Wormser

Monsieur
Armand Bénésis de Rotrou
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Marcel Wormser est le frère d'André Wormser, décédé en 2009, et qui était un familier du Commando "Georges" dont il a assuré le recueil et la réinsertion des membres rescapés du massacre et ayant pu fuir l'Algérie.

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Commentaires 
de Philippe de Chabalier, à l'époque officier adjoint et chef de section au commando Cobra,
ayant pris une part active à l'opération décrite ci-dssous

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Le Djebel BENIDIR

Rédaction proposée à Armand Bénésis de Rotrou,
pour remplacer (page 152 de son livre)
le paragraphe suivant :
« L’opération a bien lieu le lendemain 6 avril …..
deux mitrailleuses MG 42 et un poste radio SCR 300 »

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          L’opération a bien lieu le lendemain 6 avril à l’aube, soit moins de 18 heures après la capture du tissal. Il faut souligner ici la prouesse d’une telle réactivité du commandement qui illustre parfaitement l’efficacité de la « méthode Bigeard », telle que nous l’avons décrite précédemment (pages 23 à 28), alors même que
« Bruno » n’était plus là pour en assurer personnellement l’exécution, et ce principalement sur les deux points suivants :

• La présence, au sein du groupement opérationnel, d’un noyau constitué d’un commando chargé de la recherche du renseignement, capital dans une guerilla telle que celle-ci, et de un ou plusieurs commandos
« de choc » pour l’exploitation rapide et efficace de ce même renseignement.

• L’importance de l’appui aérien des troupes au sol, seul réel avantage dont nous disposions face aux rebelles qui, eux, savaient utiliser au mieux les caractéristiques « dantesques » du massif des Ksours comme d’une véritable forteresse naturelle.

          Le commando Georges avait brillamment rempli sa mission en obtenant un renseignement de tout premier ordre sur la présence de la katiba 531, katiba souvent recherchée, parfois accrochée mais jamais réellement inquiétée. Renseignement essentiellement « volatil », car, au moindre soupçon d’avoir été repérée, la katiba risquait de se disperser et de nous échapper.

          Une action de grande envergure, avec troupes de « bouclage » et de « ratissage », dans le cadre de l’opération « Prométhée » en cours dans le Sud Oranais, étant exclue, trop longue à mettre en place et surtout pas assez discrète, le lieutenant Grillot apporte lui-même le prisonnier en hélicoptère au PC des Arbaouats, une petite palmeraie à environ 25 Km à l’est du Benidir, où le commando Cobra se trouvait depuis 2 jours en « réserve héliportée », à la disposition du colonel Morel Deville, commandant le secteur opérationnel de Géryville.

          Le lieutenant Robert Gaget, chef de ce commando créé par Bigeard en même temps que Georges comme son binôme « choc » pour l’exploitation des renseignements, l’accueille à sa descente d’hélicoptère. Les 2 hommes se connaissent parfaitement et s’apprécient. Le lieutenant Gaget comprend tout de suite l’importance du renseignement qui lui est ainsi apporté « sur un plateau » par son ami Georges et prend en charge le prisonnier.

          Il est environ 16 heures, soit quelques heures à peine après la capture du prisonnier. Il n’y a pas une minute à perdre.

          Le colonel commandant le secteur confirme au commando Cobra sa mission : héliportage au lever du jour sur un col situé à environ 800 mètres au sud-ouest de la cote 1705, emplacement présumé de la katiba. 

          Disposant du nombre d’hélicoptères suffisant (3 DIH) pour « larguer » 3 compagnies complètes simultanément, il engage également 2 compagnies d’infanterie au sud et au nord-est de la cote 1705, en appui de Cobra.

          Pour les « Sikos H 34», la cote 1705 est à peine à 5 minutes de vol de la palmeraie, ce qui devrait favoriser un effet de surprise totale, malgré le bruit d’une trentaine d’hélicos volant ensemble et un
« traitement » préalable des zones de « poser » par l’aviation d’appui.

          Laissant son second diriger l’héliportage pendant la phase d’approche de l’objectif, le lieutenant Gaget embarque avec le prisonnier dans une « Alouette » pour mieux appréhender le terrain et, éventuellement, repérer les positions rebelles, avant de se poser ensuite sur la crête au millieu de son commando.

          L’accrochage est quasi immédiat, quelques minutes après les premiers largages et avant même que les dernières rotations aient posé l’ensemble des unités sur la crête. Le choc est terrible et les pertes d’emblée assez lourdes de notre côté, les « fells », bien protégés dans les énormes cavités rocheuses, disposant de positions de combat idéales pour leurs mitrailleuses allemandes MG 42, à la cadence de tir de 600 coups/minute, puissance de feu impressionnante quand on en est la cible !.

          Le lieutenant Gaget demande immédiatement un appui aérien» pour « traiter » la zone avant l’assaut et limiter ainsi les pertes. Là encore la méthode Bigeard de guidage au sol a montré son efficacité, les projectles, bombes des B26 ou obus de 20 mm de « rameur canon », passant à 10 mètres au dessus des têtes amies pour exploser à moins de 100 mètres devant sur les positions fells, sans aucune erreur ni
« bavure » toujours possible. Fumigènes et foulards de couleur étaient les seuls signes distinctifs, vus d’avion, pour matérialiser la « ligne de front ».

          Grâce à cet appui aérien remarquablement conduit, l’assaut a pu être donné, en particulier par une section du commando Cobra commandée par l’adjudant chef Bonneau, qui le paiera de sa vie, en contournant l’énorme falaise bordant la cote 1705 par le sud, prenant ainsi les rebelles à revers.

          En fin de journée, une compagnie du 2° REI et un commando de l’Air viendront épauler Cobra et auront aussi leurs pertes, mais à la fin de la nuit qui a suivi, la katiba 531, la « reine des Ksours », pouvait être considérée comme « cassée », avec une cinquantaine de tués et autant d’armes perdues, dont 2 MG 42.

          Objectif à moitié atteint cependant, puisqu’une bonne moitié de cette katiba a pu s’enfuir et passer entre les mailles du filet tendu par les troupes du bouclage (23° RS, 1er RCC, 2° et 6° BT) rameutées sur les contreforts nord et sud du Benidir.

          Malgré nos pertes sévères, 7 morts et une quinzaine de blessés, ce fut un bel exemple de combat de contre guerilla digne de devenir un « cas d’école » si un jour la « méthode Bigeard » devait être enseignée dans les écoles militaires.

          Après l’exploit du commando Georges pour la recherche de renseignements, celui du commando Cobra pour son exploitation était digne des meilleures unités professionnelles, Légion ou parachutistes, face à un adversaire particulièrement combattif et valeureux. Composé uniquement d’appelés volontaires, hormis l’encadrement, Cobra a prouvé ce jour là, comme à de maintes reprises, la confiance que « Bruno » avait mise en notre jeunesse, pour peu qu’on l’encadre bien et qu’on lui montre l’exemple.

          Bigeard n’était plus là depuis deux mois, « muté » en République Centre Africaine pour les raisons que l’on connait, mais son rayonnement et ses enseignements restaient. Les réflexes acquis fonctionnaient comme si il était encore présent, y compris au niveau du commandement dont la réactivité a été exemplaire et décisive. Une mécanique bien « huilée » en somme avec laquelle il suffit d’appuyer sur les bons boutons pour que tout fonctionne !

          Le lendemain 7 avril, le général Gambiez, commandant le Corps d’Armée d’Oran, viendra en personne féliciter les troupes, et en particulier Cobra.

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Note de l'auteur

          Excellent complément à mon ouvrage qui, volontairement, s'est limité a l'aspect stratégique des opérations, sans en aborder celui de la tactique.

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